dimanche 9 octobre 2011

LA DIDACTIQUE DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE ET LA FORMATION DES ENSEIGNANTS


Jean-Louis Martinand 
Les conceptions sur la formation des maîtres sont implicites, diverses, 
contradictoires ; elles oublient trop souvent que les maîtres enseignent des 
disciplines scolaires. Comment penser aujourd'hui la formation des 
enseignants à la prise en charge de leur discipline ? Cet article propose un 
modèle d'analyse qui s'appuie sur deux idées directrices : 
11 l'idée de référence (les activités scolaires sont des images de pratiques 
extérieures à l'école et prises comme références), 
2/ l'idée de professionnalité (les enseignants doivent acquérir une double 
technicité, dans les pratiques de référence d'une part, et dans le guidage 
des activités et des apprentissages scolaires d'autre part). 
L'article présente enfin quelques réflexions sur les formations actuelles, 
inspirées par le "modèle référence-prq)essionnalité"'. 
L'ambition limitée de cette "intervention" (1) est de proposer 
un cadre pour penser la formation des enseignants de 
un cadre pour sciences et de technologie. En effet, dans la dernière 
penser la période, le développement des recherches scientifiques, 
formation l'accumulation des connaissances, les mutations des tech 
niques, l'allongement des durées d'études, les spécialisa 
tions des enseignements universitaires, déstabilisent la 
formation des enseignants. Tous les pays sont confrontés à 
ces défis ; et si les solutions adoptées ne sont pas nécessai 
rement les mêmes, du moins une réflexion commune peut-
elle être féconde. 
1. LES APPORTS DE LA RECHERCHE DIDACTIQUE 
Depuis une vingtaine d'années, la recherche en didactique 
des disciplines scientifiques et technologiques s'est dévelop 
pée et les résultats en apparaissent dans les publications, 
les revues des différents centres de recherches : on peut 
citer, à titre d'exemples et pour des aires culturelles diffé 
rentes, les revues : International Journal of Science 
Education, Ensenanza de las Ciencias, Investigacion en la 
Escuela, Aster, Didaskàlia. Les revues d'associations de 
(1) Ce texte reprend l'intervention faite au Symposium Européen "Les professeurs de science et de technologie : quelle formation pour 
quel enseignement", organisé par le Conseil de l'Europe, du 30 mars au 1
er avril 1994, à la Cité des Sciences et de l'Industrie de Paris. 
ASTER N° 19. 1994. La didactique des sciences en Europe. INRP, 29, rue d'Ulm, 75230 Paris Cedex 05 
62 
recherches sur les 
problèmes 
d'enseignement et 
d'apprentissage 
du point de vue 
des contenus 
deux orientations 
recherches pour 
la connaissance 
recherches pour 
l'intervention 
professeurs, les publications de centres de formation 
d'enseignants, les actes de colloques, témoignent de 
l'existence d'une communauté. 
Qu'est-ce que nous proposent aujourd'hui ces recherches ? 
Contrairement à une idée répandue, la recherche didactique 
ne s'occupe pas avant tout des moyens et des procédés de 
transmettre des connaissances indépendamment des conte 
nus. On peut dire qu'aujourd'hui elle étudie les problèmes 
d'enseignement et d'apprentissage du point de vue des 
contenus, avec une responsabilité vis-à-vis des contenus, ce 
qui ne veut pas dire que les contenus seraient son objet 
propre et exclusif. Il y a là un changement de sens d'un mot, 
comme c'est souvent le cas lorsque s'ouvre un nouveau 
champ de recherche. 
Comme c'est aussi souvent le cas, l'émergence de la 
recherche introduit une tension, en tout cas une différence, 
entre deux orientations : vers la production de connais 
sances fiables, cumulatives, validées, sur les processus 
d'enseignement et d'apprentissage, et vers l'instrumentation 
et l'élucidation des décisions et des interventions volontaires 
dans ces mêmes processus. On peut reconnaître là les dis 
tinctions habituelles entre recherches à visées "fondamen 
tales" et recherches de "développement". Mais dans le cas 
des sciences et techniques de la culture, les choses ne sont 
pas si simples : par exemple, les avancées théoriques sont 
jusqu'à présent, plutôt venues de recherches de "développe 
ment" que des recherches "fondamentales". 
Du côté des recherches pour la connaissance, les travaux se 
sont concentrés sur les conduites des apprenants, parfois 
des enseignants, plus rarement sur leurs interactions. 
Quatre domaines d'étude fournissent de nombreux 
résultats : 
- la représentation des choses, des phénomènes, des pro 
cessus, des procédés, des instruments ; 
- l'appropriation des concepts, des modèles, des théories, 
des langages, des systèmes symboliques ; 
- les raisonnements et stratégies pour accomplir des tâches, 
résoudre des problèmes ; 
- l'image des disciplines, des pratiques, des valeurs, des 
rôles. 
Du côté des recherches pour l'intervention, les travaux de 
recherche, souvent liés à des innovations (dont l'action-
recherche est une modalité), concernent différents aspects 
du curriculum (programme et moyens de sa mise en 
oeuvre) : 
- les évaluations des apprenants, des enseignants, des sys 
tèmes éducatifs ; 
- les composantes des curriculums, en particulier les 
moyens informatiques, les activités expérimentales, les 
manuels ; 
- la sélection, la formulation des objectifs et des contenus ; 
parfois il y a conception-essai-évaluation d'ensemble d'un 
curriculum. 
63 
2. ENSEIGNER LA DIDACTIQUE 
OU MIEUX PENSER LA FORMATION ? 
... dans une 
formation qui 
s'est construite 
indépen 
damment... 
Le très bref panorama précédent n'a pour fonction que de 
introduire les convaincre que les acquis de la recherche didactique sont 
acquis de la visibles et importants : remise en cause de lieux communs, 
recherche découverte de paradoxes, ouverture de possibilités éloignées 
didactique... des coutumes, étayages d'interventions, les résultats et les 
démarches de la recherche peuvent donner matière à la for 
mation. C'est bien ce que pensent de nombreux chercheurs 
en didactique (Vergnaud et al. 1994). 
Mais leurs propositions ne passent pas toujours très facile 
ment dans les centres de formation d'enseignants où ils ne 
sont pas les seuls formateurs. Les réactions au nom d'argu 
ments variés, et en fonction de positions ou de statuts 
divers, sont même quelquefois assez vives : de quel droit la 
didactique "qui est loin d'être une science assurée" aurait-
elle à jouer un rôle majeur, et même fondateur dans la for 
mation des maître ? 
Pratiquement, il ne faut pas oublier que l'enseignement et la 
formation existent déjà. L'intervention des didacticiens-cher-
cheurs ne peut pas se légitimer par les seuls acquis de la 
recherche : ceux-ci sont loin de pouvoir se substituer aux 
formations qui se sont progressivement construites sur une 
base empirique, et dont la place a été stabilisée dans l'insti 
tution par les procédures de qualifications ou de sélections. 
Il revient aux didacticiens de montrer qu'ils peuvent remplir 
les fonctions habituelles des formateurs, et que leurs com 
pétences de chercheurs permettent des progrès. 
Théoriquement, c'est une illusion propre aux chercheurs - et 
éventuellement à quelques administrateurs - que de croire 
qu'en principe, même si on n'en est pas encore là, il va être 
possible de fonder entièrement la formation professionnelle 
sur les seuls résultats de la recherche. Aucune formation 
professionnelle, dans quelque domaine que ce soit, n'a pu 
être construite ainsi ; chacune doit composer avec l'"état de 
l'art", les normes techniques, les exigences sociales. La 
recherche peut anticiper, accompagner, réguler les évolu 
tions ; la prétention de les déterminer est (heureusement) 
hors de sa portée. 
Mais cette tâche d'anticipation, d'accompagnement et de 
régulation est moins simple qu'il n'y paraît. Avons-nous 
aujourd'hui les concepts adéquats, sinon les meilleurs, pour 
poser les problèmes et esquisser des cadres de solutions 
possibles ? Sommes-nous au fond capables de concevoir la 
formation comme un problème, et non comme un assem 
blage de solutions existantes et non questionnables ? 
et mieux : C'est dans cette perspective de problématisation de la for-
problématiser la mation des enseignants des sciences et technologie, ren-
formation voyant aux recherches et réflexions à visées curriculaires, 
que se situe cet exposé. Mais il convient d'abord de prendre 
la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés. 
... pour anticiper, 
accompagner, 
réguler... 
64 
3. LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA FORMATION 
des contenus 
modifiés de plus 
en plus 
rapidement 
Nouveaux contenus 
Dans l'ordre des choses auxquelles tout le monde pense, 
viennent sans doute en premier lieu les nouveaux contenus. 
La pression exercée par l'accumulation des connaissances 
scientifiques, la spécialisation des compétences techniques, 
entraînent des modifications de plus en plus rapides de 
contenu. On peut se poser la question de savoir si du point 
de vue de l'éducation générale, cette inflation, cette diversifi 
cation, ces "révolutions" sont réellement nombreuses et 
radicales à l'échelle de la vie humaine et si les restructura 
tions des contenus ont vraiment besoin d'être si fréquentes ; 
mais force est de reconnaître que les contenus sont modifiés 
et que ces remaniements répétés sont un défi. 
garder l'initiative 
face à des 
pressions plus 
économiques 
que 
pédagogiques 
Nouveaux moyens 
Les "nouveaux" moyens d'information et de communication, 
les techniques informatiques d'assistance à l'enseignement 
et à l'apprentissage sont loin d'avoir montré toutes leurs 
possibilités. La pression, est sans doute d'origine indus 
trielle et son sens premier est économique plus que pédago 
gique ; mais ce n'est pas une raison pour l'ignorer. L'enjeu 
est ici de garder l'initiative sur le moyen (ordinateur, télé 
enseignement, audiovisuel) c'est-à-dire de bénéficier de tout 
ce que peut apporter le moyen, compte tenu des spécificités 
des contenus et des apprentissages. 
initier aux 
problèmes 
d'environnement, 
de santé, 
de sécurité 
Nouvelles missions 
L'enseignement secondaire est devenu un enseignement de 
masse. D'abord il doit assumer, pour tous, des tâches d'ins 
truction que l'enseignement primaire réalisait en fait pour 
quelques-uns avant la fin des études obligatoires. L'éduca 
tion scientifique et technologique se place bien dans ce 
cadre. En même temps des enjeux importants pour les 
citoyens nouveaux, ou renouvelés, doivent être pris en 
charge par l'enseignement secondaire : éducation pour 
l'environnement, pour la santé, à la sécurité. Il ne s'agit pas 
forcément d'introduire des disciplines ou même des conte 
nus, mais d'amener les disciplines à apporter leur contribu 
tion, pour mieux poser les problèmes d'environnement, de 
santé, de sécurité. 
Nouveaux élèves 
La prolongation des études pour tous amène dans les 
classes de l'enseignement secondaire des élèves que les 
enseignants n'avaient pas l'habitude de "traiter". Leurs rap 
ports au milieu scolaire, aux enseignants, leur rapport au 
savoir et à sa signification, ne sont plus les mêmes. La 
65 
une nouvelle 
"connivence" 
enseignant-
enseigne à 
construire 
"connivence" enseignants-enseignes doit être reconstruite 
sur d'autres bases qui affectent les démarches, les moyens, 
les contenus. 
Il en est de même à l'université : parmi les étudiants, ceux 
qui deviennent enseignants ont suivi des parcours, des 
échecs, des expériences, ont des aspirations, qui en font des 
acteurs aux caractéristiques inédites, et rapidement 
variables d'ailleurs, si l'on en juge par ce qui s'est passé en 
France ces dernières années. 
Nouveaux formateurs 
En réalité, il n'y a que des "anciens" formateurs... 
Face à ces défis, de quoi disposons-nous pour penser la for 
mation ? 
4. MODÈLES POUR PENSER LA FORMATION 
les figures 
multiples 
auxquelles se 
réfère le métier 
d'enseignant 
4.1. Figures 
En France, la difficulté pour penser le métier d'enseignant 
est bien révélée par les comparaisons multiples et contradic 
toires auxquelles le sens commun - y compris le sens com 
mun des formateurs, des chercheurs et des administrateurs 
- fait appel. R. Bourdoncle (1993) a recensé quelques 
"figures" mises en avant : 
- l'"ouvrier", ou l'employé, qui connote l'importance de l'exé 
cution, de la mise en oeuvre d'un programme et de 
moyens selon des prescriptions qui lui sont imposées ; 
- l'"artisan", qui met l'accent sur le service individualisé 
fourni grâce à des savoirs et savoir-faire techniques et 
sociaux habituellement acquis "sur le tas" ; 
- l'"artiste", qui insiste sur l'authenticité, le "don", dans des 
actes où la technique transmissible jouerait un rôle secon 
daire ; 
- le "professionnel", qui applique un savoir rationalisé, et 
dont le type moderne est sans doute le médecin. 
On pourrait y ajouter, parce que sa figure est loin d'avoir 
disparu dans l'imaginaire collectif, le "prêtre", investi d'une 
mission. 
4.2. Modèles 
S'agissant de penser la formation elle-même, je distinguerai 
trois modèles, trois tentatives qui tous contiennent une part 
de vérité et ont donc une certaine fécondité, mais qui sont 
trop partiels, trop superficiels, pour permettre de poser au 
fond le problème de la formation des enseignant du point de 
vue didactique. 
66 
trois axes pour 
catégoriser les 
formations 
existantes 
examiner les 
formations à 
partir des 
compétences 
visées 
considérer 
l'articulation 
compétences 
scientifiques ou 
technologiques/ 
compétences 
pédagogiques 
• Modèle "formation" 
C'est sûrement le plus immédiat, fondé sur les distinctions 
évidentes entre : 
formation académique/formation pédagogique, 
formation théorique/formation pratique, 
formation professionnelle/formation personnelle. 
Au fond, il s'agit de caractériser les tendances principales 
des formations existantes, et tout le monde peut être 
d'accord sur cette catégorisation ; ce sont les équilibres qui 
sont en cause, et là, les débats sont sans fin, puisque rien 
ne permet de sortir des catégories ; seules des recherches 
empiriques sur l'efficacité marginale et l'acceptabilité peu 
vent être imaginées. 
• Modèle "compétences" 
La distinction : 
compétences scientifiques ou technologiques / 
compétences pédagogiques 
permet un pas de plus en ouvrant la discussion sur les for 
mations à partir des compétences visées et non en fonction 
des cursus eux-mêmes. Cependant, elle évite la mise en 
relation entre compétences pédagogiques et compétences 
scientifiques et technologiques qui doit être la marque de 
leur intégration professionnelle. Pour les mêmes raisons, 
une autre question n'a pas de solution rationnelle, et donc 
seulement réponse économique : jusqu'à quel niveau faut-il 
développer les compétences scientifiques et technologiques ? 
et qu'est-ce qu'un "haut niveau" de compétence dans les 
deux ordres ? 
• Modèle "transposition" 
Issu des travaux de didactique, le concept de transposition, 
en attirant l'attention sur les transformations du savoir 
lorsqu'il passe du contexte savant au contexte scolaire, per 
met de poser le problème de l'articulation entre compétence 
scientifique ou technologique et compétence pédagogique. 
L'étude de la chaîne : 
savoir savant -^ 
• savoir à enseigner 
-savoir enseigné 
complétée par l'étude du savoir approprié nous installe bien 
dans une problématique de formation professionnelle 
d'enseignants. 
On peut cependant faire à ce modèle, surtout développé à 
propos des mathématiques, un certain nombre de critiques : 
- vision intellectualiste qui oublie le rapport pratique au 
monde physique, aux substances chimiques, aux êtres 
vivants, aux dispositifs techniques qui fonde le comporte 
ment des physiciens, des chimistes, des biologistes, des 
67 
les critiques du 
modèle 
"transposition" 
technologues : "Je hume" tels sont les premiers mots du 
chimiste P. Laszlo dans son livre La parole des choses ; 
- vision acritique vis-à-vis de la pertinence du savoir savant, 
a priori légitime et légitimant ; 
- vision inadéquate enfin des disciplines scolaires qui se 
construisent pour transmettre des pratiques (écriture, 
langues, arts) qui ne sont pas forcément des savoirs 
savants appliqués. 
C'est pourquoi il paraît nécessaire de chercher un modèle 
plus propre à la formulation des problèmes de conception 
curriculaire et de formation des enseignants. 
5. RÉFÉRENCES ET PROFESSIONNALITÉ 
Deux ambitions sont à la base du modèle qui va être déve 
loppé : 
- la spécificité, la complexité de l'activité de l'enseignement, 
à la base du sa "professionnalité" doivent pouvoir être prises en compte 
modèle proposé : et analysées de façon plus profonde ; 
deux ambitions - le rapport de l'école aux domaines de référence non sco 
laires, où les acquis scolaires doivent pouvoir prendre 
sens, doit être élucidé de façon plus radicale. 
Ces deux ambitions conduisent à deux distinctions : 
- entre pratiques et disciplines, 
- entre école et référence. 
D'où le schéma suivant, où quatre rubriques apparaissent, 
qu'il faut examiner pour elles-mêmes d'abord, dans leurs 
relations ensuite. 
références  école 
pratiques 
production 
service 
recherche 
usage 
disciplines  • sciences s 
appliquées 
• génies 
PRATIQUES 
SOCIO-
TECHNIQUES 
DISCIPLINES 
ACADÉMIQUES • 
PRATIQUES 
- ENSEIGNANTES 
DISCIPLINES 
SCOLAIRES 
activités et 
apprentissages 
contenus et 
démarches 
68 
quelques 
commentaires sur 
les relations 
d'influence 
visualisées sur le 
schéma 
À ce stade, quelques brèves remarques seulement s'impo 
sent. 
1. Une discipline scolaire n'est jamais une réduction ou une 
simplification des disciplines académiques, même 
lorsqu'elles portent le même nom. Les modes de construc 
tion des contenus et des démarches sont plus complexes 
que le modèle de la transposition ne le laisse croire. Il peut y 
avoir création. 
2. Sur ces disciplines, les enseignants sont amenés à déve 
lopper des pratiques d'enseignement scolaire. Ils gèrent des 
apprentissages, mais aussi des activités qui ont leur justifi 
cation en elles-mêmes : investigations, réalisations, projets, 
qui débouchent sur des acquisitions, mais ne sont pas 
directement pilotées en vue de ces acquisitions. 
3. Les enseignants ont été formés par les disciplines acadé 
miques ; c'est par là que passe d'abord les relations de 
celles-ci aux disciplines scolaires. Autant dire que cette for 
mation entraîne des difficultés (conception de la discipline et 
compétences en décalage par rapport aux besoins) autant 
qu'elle peut constituer une culture scientifique ou technolo 
gique. 
4. Par contre, disciplines scolaires et disciplines acadé 
miques "correspondantes" sont les unes comme les autres 
des voies d'accès aux pratiques sociotechniques qui leur 
servent de référence. C'est donc au fond par référence à ces 
pratiques que peut être posé le problème des relations entre 
disciplines scolaires et disciplines académiques. 
C'est ce système de relations d'influence qu'expriment les 
flèches du schéma : 
—• influence forte et fondamentale 
- - •• influence pratique plus ou moins importante 
• influence générale faible. 
Pour aller plus loin, il s'agit maintenant d'étudier chacune 
des quatre rubriques. Dans le cadre de cette présentation, 
seuls quelques aspects seront développés. 
6. LES PRATIQUES DE RÉFÉRENCE 
les savoirs ne sont 
en général 
qu'une des 
composantes 
d'une pratique 
Les contenus et les démarches des disciplines scolaires ou 
académiques renvoient en général à des pratiques sociales : 
production, service, recherche, usage... Pour caractériser 
ces pratiques, il ne suffît pas de prendre en considération 
les savoirs en jeu : objets et instruments, tâches et pro 
blèmes, qualifications et rôles sociaux constituent avec les 
savoirs, les composantes solidaires d'une pratique. Les 
savoirs dépendent en général dans leur nature des autres 
composantes ; les cas où les savoirs peuvent être considérés 
de façon isolée, presque autosufïlsante sont relativement 
rares si l'on se place d'un point de vue sociologique, histo 
rique ou ethnologique. À un moment et dans un contexte 
69 
de l'importance 
de la technicité 
et de ses 
composantes... 
... à la notion de 
registres de 
technicité 
donné, cette autonomisation du savoir peut cependant 
apparaître comme légitime, et justifier ainsi le modèle de 
"transposition" évoqué précédemment. 
Au cœur des pratiques, et donc des pratiques de référence, 
sont les technicités. À la suite de M. Combarnous, on peut 
dégager trois composantes essentielles de toute technicité 
qui s'inscrivent dans la dialectique de l'objet et de l'action : 
- une pensée, une rationalité propres ; c'est-à-dire des pro 
blématiques, des concepts, des normes ; 
- des instrumentations spécifiques, matérielles et symbo 
liques ; 
- une spécialisation, des individus comme des entreprises, 
qui est la condition d'efficacité. 
Avec ces composantes de la technicité, nous sommes direc 
tement au centre des débats éducatifs sur l'intérêt, les fina 
lités, les possibilités de l'éducation scientifique et 
technologique : une pensée dévalorisée ou même niée, des 
instruments trop particuliers, des spécialisations inaccep 
tables sont autant d'arguments contre l'enseignement d'une 
science ou d'une technique ; lorsqu'il s'agit de formation 
générale il faut s'arrêter au moment où il y a "trop de tech 
nicité". 
Ces composantes de la technicité nous introduisent aussi 
au coeur des décisions curriculaires : écarts entre technicité 
dans la ou les références choisies et les contenus des disci 
plines scolaires, rapports entre pratiques familières aux 
apprenants et pratiques de référence, sens des activités et 
des apprentissages. 
Mais la notion de technicité et ses composantes apparais 
sent aujourd'hui insuffisantes pour penser la construction 
et l'évolution des disciplines. C'est pourquoi dans la dernière 
période, à la fois pour la didactique des activités physiques 
et sportives et pour la didactique des sciences et de la tech 
nologie, j'ai proposé la notion de registres de technicité. 
Quatre registres de technicité ont été distingués : 
- registre de la maîtrise : c'est le seul pris habituellement en 
compte, dans les pédagogies de la maîtrise ; mais il n'est 
pas évident qu'il soit toujours le plus pertinent lorsqu'on 
s'intéresse à des formations générales et non profession 
nelles ; 
- registre de la participation : il apparaît lorsqu'il y a capa 
cité à tenir un rôle, mais sans maîtrise, donc avec aide et 
contrôle, dans une pratique ; 
- registre de l'interprétation : c'est celui qui fonctionne 
lorsque sans être forcément capable de faire soi-même, on 
a la capacité de "lire" et d'analyser, d'expliquer une pra 
tique ; 
- registre de la modification : c'est celui qui permet de chan 
ger une pratique, et vraisemblablement suppose que la 
maîtrise ne soit pas trop importante et consolidée. 
70 
des rapports 
entre culture et 
technicité 
Il s'agit bien de registres, et non de niveaux, car il n'y a pas 
hiérarchie sur une dimension. 
Pour terminer ces brèves remarques sur les références et les 
technicités, il faudrait aborder la question de la culture. 
Dans la perspective qui a été adoptée, la culture, qu'elle soit 
professionnelle ou "générale", touche aux rapports avec les 
pratiques de référence. Plus précisément, la culture apparaît 
comme une technicité partagée. Au delà des consensus 
"mous" ou des conflits d'implicites, une telle définition per 
met de poser de manière à la fois théorique et pratique, la 
question des choix pour une formation de "culture". Elle 
peut se généraliser d'ailleurs bien au delà du domaine 
scientifique et technique. 
7. LES DISCIPLINES SCOLAIRES 
Dans le livre tiré de son travail d'habilitation, M. Develay 
(1992) propose un schéma de définition des disciplines sco 
laires, un modèle des "matrices" de discipline. C'est sans 
doute un modèle synthétique d'orientation "constructiviste", 
articulant au mieux des points de vue divers, voire contra 
dictoires. Il s'appuie d'abord sur le concept de transposition, 
complété par la prise en compte des valeurs, et une pédago 
gie de la "situation-problème". Le schéma souffre d'un cer 
tain intellectualisme : la prise en compte de la notion de 
pratique de référence devrait avoir des conséquences plus 
radicales qu'un ajout de quelques considérations sur la 
contextualisation du savoir. C'est avant tout, semble-t-il, un 
schéma topique pour situer diverses propositions issues de 
recherches didactiques. 
Ici, l'ambition est différente : attirer l'attention sur quelques 
questions vives pour penser la formation, en cohérence avec 
le modèle "référence/professionnalité", et spécifiques des 
sciences et de la technologie. 
Quatre questions seront abordées à la suite. 
deux plans très 
différents pour 
définir la 
discipline scolaire 
7.1. Familiarisation pratique 
et élaboration intellectuelle 
C'est une spécificité forte des sciences et de la technologie 
que d'exiger que la discipline scolaire soit définie sur deux 
plans : 
- celui de la familiarisation pratique avec des objets, des 
phénomènes, des procédés, des tâches, des rôles ; familia 
risation à laquelle l'école ne saurait se dérober sans déve 
lopper l'inégalité et rendre incertaine la référence 
empirique des savoirs ; 
- celui de l'élaboration intellectuelle, construction de 
concepts, ajustement de modèles, appropriation de théo 
ries. 
71 
Or, les activités ne sont pas les mêmes et il n'y a pas de cor 
respondance immédiate entre ces deux plans. 
contradiction 
entre l'intérêt de 
la démarche et 
les exigences de 
l'évaluation 
7.2. Sens des contenus et des démarches : 
compétences à acquérir ou expérience à vivre ? 
La justification habituelle pour une éducation scientifique et 
technologique dans l'enseignement général, s'appuie sur 
l'argument de l'intérêt de la démarche, voire de l'esprit 
scientifique, en dehors de toute acquisition de connaissance 
ou de savoir-faire. Parallèlement, les exigences de l'évalua 
tion et du contrôle, la technique des objectifs conduisent à 
valoriser des compétences évaluables. Il est urgent de 
prendre conscience de la contradiction explosive entre ces 
deux points de vues lorsqu'ils sont appliqués sans précau 
tions aux premiers niveaux de l'initiation scientifique et 
technologique. 
recherche d'un 
encyclopédisme 
raisonnable 
gradation des 
contenus et des 
démarches 
7.3. Fonctions et horizons des apprentissages 
À la fin des enseignements secondaires, se posent des pro 
blèmes de choix, et donc de distinction tout aussi graves. Il 
y a un siècle, aux débuts de la "scientifisation de l'économie 
et de la société", une sorte d'allégresse scientiste présidait à 
la définition des contenus : tout était bon à savoir. 
Aujourd'hui, tout le monde est conscient que ce n'est plus 
possible ni pertinent. Chacun dénonce ^encyclopédisme", 
au risque d'ailleurs d'enlever à l'école une de ses justifica 
tions : attirer l'attention sur la richesse du monde environ 
nant et structurer les cadres intellectuels qui permettent de 
la maîtriser. 
Il y a en fait deux problèmes. 
Le premier, celui de la recherche d'un encyclopédisme rai 
sonnable, conduit à distinguer les fonctions des disciplines 
scolaires de la fin du secondaire : 
- discipline de "cœur", axe d'une filière de formation, qui 
apporte la contribution essentielle à la culture de l'élève, 
- discipline de "service", réponse aux besoins des disciplines 
de "cœur", 
- discipline d'ouverture, préparation à l'accueil du nouveau 
qui trouve son origine dans le développement des 
recherches et des innovations. 
Ces distinctions ont des rapports étroits avec les registres de 
la technicité. 
Le second problème, celui de la gradation des contenus et 
des démarches au cours des études, entraîne à clarifier les 
rapports entre commencements, bases et fondements. Il y a 
trop de confusion entre bases et commencements. Les 
bases, c'est ce qui doit faire l'objet à chaque niveau d'une 
reconstruction pour restructurer l'ensemble du savoir : 
comment penser que des bases pourraient être atteintes 
72 
d'emblée ? Les fondements ne sont que les dernières bases, 
d'ailleurs provisoires. 
interaction 
référence/ 
discipline scolaire 
à expliciter 
7.4. Références et disciplines 
La tendance permanente des disciplines scolaires est de 
s'enfermer progressivement dans l'autoréférence, dans une 
boucle contenus - pratiques d'enseignement - évaluation des 
apprentissages - contenus. La question de la référence, le 
recours explicite à des pratiques de références externes, est 
donc une question critique, radicale. Mais tout n'est pas 
donné dans les références ; dans l'action sociale de 
construction des disciplines, il y a aussi la volonté de trans 
former des pratiques de références par les apprentissages. 
C'est donc l'interaction référence-discipline scolaire qui doit 
être explicitée. Ici encore technicité et registres de technicité 
sont sans doute les outils pertinents pour objectiver ces 
relations. 
8. LES DISCIPLINES ACADÉMIQUES 
questionner les 
disciplines 
académiques au 
moyen de l'idée 
de référence 
Les disciplines académiques pourraient faire l'objet d'un 
questionnement systématique par l'idée de référence. Ici, il 
ne s'agit que du questionnement qui s'applique aux disci 
plines académiques en tant que moyen utilisé dans la for 
mation des enseignants. Quatre questions émergent. 
- Quels apports ces disciplines fournissent-elles dans 
l'approche des différentes références : recherches, produc 
tion, usage, etc. ? Dans quels registres de technicité ces 
disciplines font-elles progresser ? 
- Quelle communauté y a-t-il entre les contenus et les 
démarches des disciplines académiques et ceux des disci 
plines scolaires ? Lefèvre et al. (1994) ont montré qu'il n'y 
a aucun rapport entre l'optique enseignée à l'université, 
l'optique enseignée à l'école et les connaissances utiles à 
la photographie. 
- Quels éléments de technicité réellement utilisables dans la 
pratique enseignante sont-ils mis à disposition (manières 
de penser, instruments de laboratoire, etc.) ? 
- Quelle contribution ces disciplines académiques fournis 
sent-elles au développement personnel du futur ensei 
gnant, compte tenu du niveau atteint ? 
Ces questions sont sans doute rudes, mais salutaires, 
lorsqu'il s'agit de négocier les formations des enseignants. 
73 
9. LES PRATIQUES ENSEIGNANTES 
Il reste à dire quelques mots à propos des pratiques ensei 
gnantes, en revenant ainsi à notre thème initial. 
Ce qui rend au fond difficile l'Injection" des acquis de la 
recherche didactique dans la formation des maîtres, c'est 
que la recherche a trop tendance à se placer en fondatrice 
de l'enseignement et de la formation, oubliant qu'elle n'est 
qu'un des processus sociaux qui interviennent sur le même 
penser la champ. C'est pourquoi l'idée directrice de tout ce texte, c'est 
formation de penser la formation comme un problème, non comme 
comme un une application. Bien sûr, la posture de recherche est juste-
problème ment celle qui permet au mieux de penser son objet comme 
problématique. À ce titre, toutes les propositions sont fonda 
mentalement issues de la recherche didactique : elles résul 
tent d'un point de vue didactique sur la formation et 
l'éducation. 
Mais dans la pratique de la formation, comme dans sa 
conception, la place, le rôle de la pratique enseignante sont 
essentiels. C'est plus à la recherche d'en tenir compte, que 
l'inverse, non seulement en approfondissant l'étude des pra 
tiques enseignantes, mais en situant de façon plus explicite 
dans la formation le rapport à la pratique enseignante à côté 
du rapport à la recherche didactique et pédagogique. 
En réalité, tout est "didactique" au sens où le point de vue 
des contenus de la discipline scolaire est directeur. Mais 
trois orientations didactiques coexistent : 
- l'orientation didactique "praticienne", incarnée par les 
maîtres de stages et les maîtres formateurs, centrée sur 
les compétences (et les coutumes) de la pratique ensei 
gnante ; 
- l'orientation didactique "normative", incarnée par les ins 
pecteurs là où ils existent, centrée sur les contenus et les 
démarches du curriculum prescrit ; 
- l'orientation critique et prospective, incarnée par les cher 
cheurs et les innovateurs, qui est bien incapable de per 
mettre le fonctionnement de l'enseignement, mais qui 
assure le rôle irremplaçable de rendre son dynamisme au 
système et à ses agents. 
Comment articuler ces trois orientations concrètement dans 
... à articuler les formations, et chez les formateurs eux-mêmes alors qu'il 
n'y a jamais de rôle exclusif ? Tel semble bien être un pro 
blème majeur et permanent de la formation des ensei 
gnants. 
trois orientations 
didactiques... 
Jean-Louis MARTINAND 
LIREST 
École Normale Supérieure de Cachan 
74 
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